(1833-1906)
par feu Jean de Launois (1)
Louis de Launois, Sous-lieutenant, pastel de A.Boutique, 1860 (coll. de famille)
Né à Tournai le 13 décembre 1833, trois ans après la Révolution belge, il pouvait donc être belge de naissance, qualité qu'il faillit perdre, à son insu, pour devenir mexicain, comme vous le verrez plus loin.
Il
était le fils de Philippe-Joseph (1806-1871, prénommé Philippe-Joseph dans
son acte de naissance mais Pierre-Philippe dans son acte de mariage, et
Paul-Philippe dans son faire-part de décès, (appelons-le Philippe- Pierre-
Joseph- Paul, pour contenter tout le monde!, et de Julie Cousart (1797-1850);
petit-fils de Léopold-Joseph de Launois (1785-1809) et de Florentine de Ghoy (°1780),ainsi
que de Léopold Cousart (1770-1837) et de Julie Hovine (1772-1845).
Son
père, comme son grand-père (tué à la bataille d'Eckmühl dans les rangs du
2me chasseurs à cheval, des armées napoléoniennes) étant militaires, c'est
tout naturellement qu'il entra, à 11 ans, à l'école des enfants de troupe
(future école des cadets), et passa, en novembre 1847,au 3me chasseurs à pied.
Nommé
sous-lieutenant le 21 juillet 1857 (son bulletin de signalement précise qu'il
mesure 1m65), il est promu lieutenant le 10 juillet 1861.En novembre 1864 il
sollicite de pouvoir faire partie de la Légion belge pour le Mexique, destinée
à servir de garde à l'impératrice Charlotte, fille de notre Roi Léopold 1er,
et à son époux, Maximilien (frère de l'empereur d'Autriche, François-Joseph),
qui venait d'être élu empereur du Mexique, et espérait faire de cette légion
le noyau de la future armée
mexicaine.
Visant
sa demande d'autorisation de s'engager dans l'armée mexicaine, son colonel
ajoute: "Officier de mérite, rempli de dévouement, réservé
aux faveurs de l'avancement par son instruction, son intelligence, son activité,
son zèle à bien faire, son éducation cultivée, son caractère loyal et
ferme."
Ce
corps belge était dû à l'initiative du ministre de la Guerre, le Lt-général
baron Chazal, sur les instigations du Roi Léopold 1er. Mais le gouvernement
belge, soucieux de préserver la
neutralité du jeune Etat, penchait pour la non-intervention et se défendait de
participer à la levée de ce corps.
Ce
n'est d'ailleurs qu'une semaine avant le départ du premier contingent pour le
Mexique qu'un arrêté royal, daté du
8 octobre 1864, fut pris, autorisant les officiers, nommément désignés, à
contracter un engagement à servir dans une armée étrangère sans perdre la
qualité de belge. Mais, malchance: deux noms
d'officiers avaient été oubliés dans la liste : celui du
capitaine de Launois, et celui
du lieutenant Baré. S'en serait-on aperçu au ministère dès Affaires étrangères,
ils auraient perdu leur nationalité belge pour s'être engagés au service d'un
Etat étranger sans l'autorisation royale! Nous serions mexicains ou apatrides!
Heureusement, l'arrêté royal du 9 novembre suivant remit les choses en ordre.
Mais
aucune assurance n'était donnée aux volontaires de voir le temps passé au
Mexique compter pour leur avancement ou leur pension en Belgique.
Néanmoins,
une douzaine d'officiers répondirent aux propositions du ministre Chazal
pour former le premier détachement; parmi eux, votre trisaïeul.
Trois
autres détachements suivirent, constituant un corps de près de 2.000 hommes:
des grenadiers et des voltigeurs, formant 2 bataillons de 6 compagnies chacun.
Les
officiers étaient autorisés à signer un contrat de deux ans; ils étaient
promus à un grade supérieur dans l'armée mexicaine mais retrouveraient leur
grade antérieur" en rentrant dans l'armée belge. Les sous-officiers et
soldats signaient un engagement de six ans.
Qu'est-ce qui poussait ces officiers à se lancer dans cette aventure? Sans doute, comme le note A.Duchesne dans sa magnifique étude sur cette expédition, étaient-ils poussés par le désir de s'évader du train-train monotone de leur existence en garnison. Rentrer un jour dans les rangs de l'armée belge, sinon avec un grade supérieur, au moins avec l'expérience de la guerre moderne, ce qui pourrait favoriser leur avancement.
Mais
ces hypothèses avaient pour corollaires de redoutables inconnues: lointain était
le pays où il était question de débarquer et bien incertain l'avenir qui
s'ouvrait devant lui.
"Sur
les 2.500 hommes qui composeront l'expédition,1.200 n'existeront plus dans six
ans, écrivait le capitaine Loiseau : les fièvres, le climat, le duel avec les
Français et les Autrichiens, les assassinats, les balles des guerilleros, en
enlèveront la moitié..." Et en effet, sur les 64 officiers qui
encadrèrent les quatre détachements, 15 furent tués au combat;sur les 1.480
sous-officiers et soldats, il y eut 41 tués.
Mais
un des principaux moteurs des
premiers engagements se révéla être le loyalisme envers le Roi et la
dynastie.
Lors
du départ d'Audenaerde du 2me détachement, en octobre 1864, le capitaine
Tydgat, dans son toast au Roi disait: "Si nous nous expatrions, c'est pour
soutenir la dynastie, et parce
ce que nous sommes persuadés que cette dynastie introduira
au Mexique les idées de progrès dont la Belgique est si fière".
Louis de Launois, promu capitaine adjudant-major, rejoignit donc le lieu de rassemblement, à Audenaerde, le 30 juillet 1864.
Les volontaires portaient un bel
uniforme: sur un pantalon de
drap gris, une tunique en drap bleu de roi, cousue de brandebourgs
verts, avec des boutons de cuivre, frappés d'un M (Maximilien)
et d'un C (Charlotte) entrelacés. Un haut chapeau noir, rigide, orné de
plumes de coqs. Les Mexicains, à cause de ces plumes,
surnommèrent ces légionnaires: les "gallos", coqs, en
espagnol.
Ce
premier détachement formait le noyau du régiment "Impératrice
Charlotte", et quitta Audenaerde le 14 octobre pour s'embarquer à
Saint-Nazaire, après un voyage en train de 36
heures (!) sur la "Louisiane", un vapeur français de 3.850 T.
Vingt-neuf jours de mer. Une escale à Fort-de-France (Martinique), une seconde à Santiago de Cuba, où la chaleur, l'ingestion de fruits tropicaux, le manque d'hygiène, causèrent la mort de trois hommes, atteints du typhus. Le détachement débarqua enfin à Vera Cruz. Mais là, il fallut, à pied, avec tout le matériel, gagner Mexico en quinze étapes. Les volontaires y arrivèrent en décembre, après trois mois de calvaire, en butte aux attaques surprise des guerilleros.
Le
4 mars 1866,une mission était envoyée à Mexico pour annoncer officiellement
à l'empereur du Mexique le décès de notre roi, Léopold 1er (10 décembre
1865) et l'avènement de son fils, Léopold II. Elle était dirigée par
le général Foury, accompagné de son aide de camp, le lieutenant Félix
Marchal (2), du major Altwies, commandant le bataillon des grenadiers
de la Légion belge au Mexique, et de trois autres personnes: le baron d'Huart, MM.
de Dorlodot et d'Alcantara.
Les
autochtones n'admettaient pas la décision des puissances européennes de les
constituer en Empire, sous la direction d'un archiduc autrichien; ils
constituaient des maquis, comme on le vit encore dans nos pays récemment, lors
de l'occupation allemande, ou dans la guerre d'Algérie, ou au Vietnam. Sur
la route de Puebla, la diligence qui transportait la députation fut attaquée
par une douzaine de guerilleros. Un dur combat, d'abord au revolver, puis à l'épée,
s'en suivit, qui mit en déroute les attaquants. Le baron d'Huart fut tué ; Félix
Marchal reçut une balle dans le bras. Soigné à l'hôpital de Mexico, il eut
l'honneur d'y recevoir la visite de l'empereur Maximilien.
Jeté dans les durs combats de pacification, Louis de Launois commandant l'état-major du bataillon des Grenadiers, combattit vaillamment, notamment à Morelia (1865), aux durs combats de Charco Redondo et de Marin (1866). Il fut, pour ce dernier fait d'armes, décoré de la médaille du mérite militaire du Mexique. Le chef de la Légion belge, le Lt général baron van der Smissen déclarait que "sa conduite au cours de cette expédition lointaine était celle d'un héros, d'une intrépidité que rien n'arrêtait."
La
France ayant retiré ses troupes, les contingents belge et autrichiens ne
pouvaient contenir la poussée des insurgés, et furent rappelés dans leur
pays, d'autant plus que le congé de deux
ans accordé aux officiers venait à échéance.
Les
détachements belges, dont le
maréchal Bazaine, commandant le
corps expéditionnaire français avait dit: "Votre valeur dans les combats,
votre discipline dans les fatigues des longues marches, ont honoré le nom
belge",ces détachements s'embarquèrent le 20 janvier 1867 à Vera Cruz,
sur un vapeur français, le "Rhône" et
arrivèrent à Anvers le 9 mars
suivant.
Leur chef de corps demanda au gouvernement que la Légion, qui s'était conduite avec tant d'héroïsme, puisse défiler à Bruxelles avant d'être dissoute. Mais les autorités belges, ayant toujours voulu ignorer officiellement ces combattants, refusèrent, et le corps fut dispersé sans autre cérémonie. Toutefois le Roi Léopold II tint à recevoir, au château de Laeken, tous les officiers et à les féliciter pour leurs actions d'éclat.
Louis
de Launois reprit son service au 2me Chasseurs à pied, promu capitaine (dans
l'armée belge cette fois!) il passa au régiment des Carabiniers, et y termina
sa carrière comme major, en septembre 1886.
Mais
la retraite n'affaiblit pas son zèle ni son amour pour l'armée. Il accepta
aussitôt les fonctions de secrétaire de la Société générale des officiers
retraités. De plus, en mars 188?, il devint directeur de la revue "La
Belgique militaire". Sous son impulsion, elle grandit encore en prestige et
en autorité.
Il
fut aussi l'un des promoteurs de la Coopérative militaire, prit une part active
à l'érection du monument De Bruyne à Blankenberghe, présida le Comité du
denier des veuves et orphelins des sous-officiers, toutes activités qu'il
poursuivit jusqu'à sa mort, malgré la maladie qui le rongeait.
Le
12 octobre 1874, il avait épousé (3) à Merchtem,
Jeanne-Marie Mennen, y
née le 22 juin 1849, fille de Jean-François (°1810) et de Marie-Sophie
Mosmans (1821-1866) ; petite-fille de François-Joseph Mennen (1774-1818) et de
Marie-Thérèse van de Weyer, ainsi que de Josse Mosmans (1790-1842) et
d'Anne-Marie de Muyl (1785-1859).
Ils habitaient à Ixelles, rue St Georges,n° 280
Gravement
malade d'un cancer du larynx, il décéda à l'hôpital militaire de Bruxelles,
le 4 novembre 1906.
A
ses funérailles, en prononçant le mot d'adieu, le Lieutenant général baron
Wahis déclarait :
"
J'ai connu le major de Launois
à toutes les phases de sa longue carrière. Tel je l'ai
vu, ardent et convaincu, au Mexique, alors qu'il était jeune, je
le vois encore il y a quelques mois. L'âge n'avait pas altéré la
belle trempe de son caractère. Dévoué à ses devoirs, à toutes les
causes qu'il croyait justes, nulle crainte ne le faisait dévier de la ligne
droite qu'il avait à suivre pour remplir ses obligations ou soutenir ses idées.
Cette énergique droiture qu'il montrait en toutes circonstances, lui avait
concilié les sympathies, et aussi l'admiration, de ceux qui le connaissaient
bien.
"Animé
de ces beaux sentiments, le major de Launois a parcouru, au Mexique et en
Belgique, la carrière qu'il devait avoir, entouré d'estime et de considération,
inspirant confiance entière à ses inférieurs et à ses chefs, et nous pouvons
dire qu'il a bien
mérité de la Patrie."
Louis
de Launois était chevalier de l'Ordre de Léopold, décoré de la Croix
militaire, de la Médaille du Mérite militaire du Mexique, de la médaille française
de l'expédition du Mexique, de la médaille commémorative du règne du Roi Léopold
II.
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Sources
-
A.Duchesne : " L'expédition des volontaires belges au Mexique. 1864-1867.
Bruxelles, 1967.
pp.41,145,150,151,185,193,248,619.
-
"La Belgique
militaire" 20 mai et 11 novembre 1906 -
-
"Revue belge d'Histoire militaire "
sept. 1971,article d'A.Duchesne
sur "Le journal de marche de l'expédition des volontaires
belges au Mexique", pp.200 à 222.
-
L.Timmermans : "Voyage et
opérations du corps belge au Mexique", Liège 1866.
-
Capitaine Loiseau : "Le Mexique et la Légion belge", Bruxelles 1870
- Ch.Terlinden : "Histoire militaire des belges" Renaissance du livre, 1966, p.316.
- Photos: archives familiales
Notes
(2) Félix Marchal, devenu Lt-général dans l'armée belge, était né à St Josse-ten-Noode le 6 juin 1836,et mourut à Schaerbeek le 8 octobre 1901. Il était le fils du chevalier François-Jh Marchal et d'Isabelle-Epiphanie Diez. Il devint, le 25 septembre 1893,chef de cabinet du Lt général J.J. Brassine, ministre de la Guerre, fonction qu'il dut abandonner quand il fut nommé général major le 26 décembre suivant. Il fut remplacé comme chef de cabinet par le Lt général (alors major) Emile Libbrecht. Le général Félix Marchal était le parrain de son neveu, le futur général Roger Libbrecht.
(3)
A l'âge de 41 ans donc et après son retour du Mexique.